Le nouveau scandale de la croix

Le christianisme scandalise le monde. La croix offense (1 Co 1.23). Mais à mesure que le monde change, la croix scandalise de manière différente. Pour les Grecs, l’idée qu’un homme mourant puisse sauver le monde était de la folie. Pour les juifs, celui qui mourait sur une croix était maudit de Dieu. Au Moyen-Âge, l’idée d’un pardon total par la croix sans le besoin d’œuvres méritoires était impensable. Pour l’homme moderne, c’était tout simplement irrationnel et impossible à prouver.

Dans notre époque postmoderne, il y a un nouveau scandale : l’exclusivité de la croix de Christ. Le salut par l’Évangile peut être un chemin, ou votre chemin, mais certainement pas le seul chemin. Jean 14.6 est un verset choquant : Jésus lui dit « Je suis le chemin, la vérité et la vie. Nul ne vient au Père que par moi. » Si, comme l’a écrit quelqu’un : « De nos jours, le seul péché intolérable est l’intolérance », alors cette affirmation de notre Seigneur le place dans la même catégorie qu’un fondamentaliste islamiste, déterminé à établir un monde théocratique.

À mesure que le monde change, la croix scandalise de manière différente.

La tolérance et le pluralisme religieux avaient du sens dans le monde moderne où la rationalité régnait et où la vérité scientifique l’emportait toujours. Le libre-échange d’idées devait finir par mener à l’illumination et au consensus.

Mais dans notre monde postmoderne, où toute vérité religieuse ou séculière n’a plus sa place, la tolérance est vue comme un simple moyen d’assurer l’inclusivité. Personne ne doit exprimer une idée qui ferait en sorte qu’un autre se sente rejeté ou offensé, car toutes les idées sont valables de manière égale.

Cette perspective a pris de l’ampleur depuis le 11 septembre[1]. Les prières génériques dans les services commémoratifs interconfessionnels (où les chrétiens ne doivent jamais dire « au nom de Jésus »), les discours politiques qui consacrent Allah, Jéhovah et Jésus comme la nouvelle trinité, et la suppression des passages violents trouvés dans le Coran et la Bible visent tous à se débarrasser du « scandale de l’unicité[2] ».

Comment les chrétiens doivent-ils réagir face à ce monde où « tous les chemins mènent au ciel » ? J’aimerais suggérer que ce monde comporte non seulement des défis considérables, mais aussi des occasions uniques.

Premièrement, il nous donne l’occasion de nous pratiquer à la tolérance. Un coup d’œil rapide à l’histoire de l’Église nous montre que les chrétiens sont souvent plus doués pour bâtir des murs que des ponts, plus belliqueux que pacifiques. L’exclusivisme que nous pratiquons est autant une tentative de protéger les spécificités de nos positions théologiques, notre style de communauté religieuse ou notre personnalité individuelle, que de protéger le « scandale de la croix ». Le pluralisme contemporain nous pousse à réfléchir plus sérieusement à notre manière de « dire la vérité dans l’amour », « d’aimer son prochain comme soi-même » et de « prier pour ceux qui vous maltraitent ». L’amabilité, la gentillesse et la compassion peuvent faire tomber de nombreux murs.

Les chrétiens sont souvent plus doués pour bâtir des murs que des ponts, plus belliqueux que pacifiques.

Deuxièmement, le pluralisme contemporain nous pousse à nous voir comme les autres nous voient (un exercice difficile, mais essentiel pour tout dialogue dans le ministère). Par exemple, nous pourrions insister (à raison) que la tolérance a ses limites. Je ne vais pas tolérer la croyance de mon voisin si, au nom de son dieu, il s’attache des explosifs à la taille et pénètre dans l’école de mon enfant. Mais suis-je prêt à admettre qu’il ait lui aussi de la difficulté face à la politique moyen-orientale qui cautionne la violence comme moyen d’établir un état israélien, au nom de l’Apocalypse ? Si nous prenons le temps de comprendre comment nous sommes perçus, cela pourra atténuer les effets de notre exclusivisme.

Troisièmement, le pluralisme religieux nous donne l’occasion unique de diriger les regards des gens vers Jésus. Un monde sans vérité universelle est un monde inquiétant. Lorsque tout est vérité, plus rien n’est vérité. Mais Dieu nous a créés pour la vérité. Sans elle, nous ressentons un profond mal-être, comme un enfant qui ne connaît pas les limites. Nos contemporains postmodernes ne ressentent peut-être pas le besoin d’expiation, mais leur anxiété produit un désir de vérité. La cause de leur offense – l’affirmation de Jésus qu’il est la Vérité – sera la solution pour faire disparaître leur peur.

Rien ne pourra jamais effacer totalement l’offense de l’Évangile pour l’incroyant. Mais ne laissons pas cela nous empêcher de saisir les occasions offertes par ce nouveau scandale de la croix.

 

[1]     11 septembre 2001, date des attentats contre le World Trade Center aux États-Unis, commémorés depuis lors de cérémonies souvent inter religieuses (NDT)

[2]     L’expression « scandale de l’unicité » est utilisée par les théologiens pour parler de la difficulté à concevoir Christ comme unique chemin vers Dieu le Père (NDT)

Lire la suite : Le nouveau scandale de la croix sur Evangile 21.